Exemple Yuka, d’holistique à systèmique e2
ENTRE-ESPACE
Représentation simplifiée du parcours client Yuka


Cet article suit Design, d'holistique à systémique
Pour montrer un exemple des différents objectifs du design listés dans Design, from holistic to systemic, j’ai choisi une application vertueuse. Il n’est pas question pour moi d’attaquer Yuka, car c’est une application qui a énormément fait bouger nos industries agro-alimentaires et c’est un exploit. Ce que je présente ne sont que des hypothèses de travail, je ne connais pas le dossier à fond même si je me suis renseigné.
Contextual Design


Yuka est clairement Human centered Design et son succès est dû à une conjecture :
en un marché prêt à l’accueillir ;
une technologie plus facilement réalisable en France grâce au Nutricescore existant qui pèse même si lissé dans le scoring composite Yuka ;
des fondateurs matures et brillants.
La raison de l'expérience durable de Yuka
Pour montrer la raison du succès solide de Yuka, je vais partir de la grille de lecture Narrative Primitive Enablers (NPE) de Jean La Rocherborchard.
la narrative: la vérité du besoin utilisateur ;
la primitive: la core feature qui se suffit à elle-même et est et restera au centre de votre produit ;
les enablers; toutes les features qui renforcent l’expérience et la dimension de la primitive.
La narrative
Si on part du Design contextuel, on défini d’abord l’utilisateur central et on peut donner notre raison d’être, notre narrative : guider le consommateur de produits alimentaires transformés qui cherche a manger d’une manière plus saine.
La primitive
Notre réponse centrale est de donner à l’utilisateur un score d’impact sur la santé à chaque produit alimentaire transformé.
Les enablers
La recommandation. Pour chaque mauvais score Yuka vous en proposera si possible un produit avec un meilleur score. C’est la feature nécessaire à la fidélisation. Sans recommandation, un utilisateur pourrait avoir l’impression d’être dans une impasse et finalement pourrait rejeter l’application.
L’historique [limité]. L’app affiche les informations des produits déjà scannés. Là, aussi, l’équipe choisit de régler une réelle frustration potentielle de l’utilisateur autour du score.
Le développement à l’international. Cette première est un classique du product. Yuka est déjà présent dans plus de 10 pays, dont des pays de taille comme les Etats-Unis.
Le mode premium
Une bonne manière de faire adopter un produit est de le rendre gratuit.
Les enablers premiums sont sont être bonne pratique en Product Marketing lorsqu’il y a une stratégie NPE sur une primitive.
Plus de 75% des revenus de Yuka viennent de la version premium. Le mode premium est intelligemment amené par Yuka au bon moment, car l’utilisateur peut concéder qu’il est dans un cas particulier.
Pour faciliter l’adhésion premium, Yuka va proposer un “prix libre” (entre 10 et 50 €) très gamifié. Le prix libre est un classique des marques transparentes, on peut voir cette proposition chez Everlane par exemple.
Le mode hors-connexion [premium]. Cette feature très utile peut s’avérer essentielle à l’utilisateur lorsqu’il n’a pas de réseau.
Les préférences alimentaires [premium]. Cet enabler permet d’alerter l’utilisateur selon son régime, ses convictions ou ses intolérances (huile de palme, gluten, …)
L’historique illimité & la recherche sans scan viennent compléter le premium
L’ajout de la cosmétique
La cosmétique est clairement hors de la primitive en vision NPE, mais permet à Yuka d’accompagner un peu plus les clients dans leur journey de courses. La raison d’être de Yuka devient: Faites les bons choix pour votre santé.
Reste 2 lacunes à ce choix :
La cosmétique est plus complexe a scorer d’une manière fiable ;
Les produits d’entretiens ne rentrent pas.
Ces lacunes sont vites oubliées par les utilisateurs qui ont tout de même un problème pour comprendre les multiples tampons ressemblant à des labels bios.
💡 Si le scoring n’est pas possible, on peut imaginer une aide de d’alerte pour prévenir les clients des faux labels.


Représentation simplifiée du Design Bleu Print Yuka
Une valeur de la durée de vie du client assumée
Yuka n’est apparemment pas conçu comme on conçoit un produit classique puisque, si le but de Yuka est une meilleure santé, il va orienter ses utilisateurs vers des produits non modifiés (84% des utilisateurs) moins nocifs pour l’humain et la planète. Cela mène à plus de cuisine (57% des utilisateurs disent faire plus souvent la cuisine).
Yuka assume donc dans son rapport d’impact qu’il peut être un outil de transition: 74% des personnes interrogées utilisaient l'application depuis moins de deux mois, mais ont tout de même pu faire état d'un changement dans leurs habitudes.
En effet, Yuka va plus loin que le simple produit et prolonge l’expérience de celui qui voudrait mieux manger dans un accompagnement pour apprendre à sainement cuisiner “maison” :
Livre “Le guide Yuka de l'alimentation saine” ;
blog avec des articles comme “Les fondamentaux, 12 chapitres pour comprendre les bases d’une alimentation saine”.
On se rapproche de la formation que Yuka avait testée en France avec un programme nutritionnel sur 10 semaines qui semble ne plus exister.
”L’alimentation au coeur du changement climatique”
En prenant en compte les limites en terme de faisabilité, le choix de l’éco-score n’est pas un choix “produit” car il est peu renseigné et le bouton “environnement” mène trop souvent à une impasse (pas de score). Par contre, malgré cela, c’est un choix logique si on considère que Yuka déclare “l’alimentation au cœur du changement climatique”.
Changers les pratiques des industries de transformation
Yuka n’a pas fait que bouleverser les habitudes clients. Quand Yuka déclare que 94% les utilisateurs ont cessé d'acheter certains produits, elle fait changer les pratiques des distributeurs (hypermarchés) et même celles des industries de transformation qui, s’ils veulent continuer à vendre, doivent être plus vertueuses dans leur transformation et dans leur sourcing.
En France, le gain de cause de Yuka dans son combat contre les nitrites dans les charcuteries face aux lobbies agro-alimentaires. Pour faire campagne, Yuka s’est associé avec l'association de consommateurs Foodwatch et la Ligue contre le cancer. Elle a également recueillie, selon elle, 450 000 signatures pour sa pétition.


Si on prend du recul et qu’on regarde avec attention le système, on y trouvera verra rapidement plusieurs points bloquants contrairement à la vision d’un monde parfait où on affronte à des problèmes utilisateurs en discovery product.
“l’alimentation au cœur du changement climatique” ne peut prendre de l’ampleur que si:
le nutriscore devient obligatoire [rouge]: plusieurs pétitions ont été lancées pour demander à l’Union Européenne de ne pas céder face aux lobbies de la santé ;
la concurrence déloyale de producteurs tels que les pays du Mercosur [rouge]: ils ne respectent pas des règles d’agriculture soutenable. Cela rend la défense des prix de produits sains des producteurs français presqu’impossible ;
la flambée des matières premières [jaune]: elle est actrice dans l’inflation des produits alimentaires et notamment des produits frais. La difficulté d’arriver à se nourrir dans nos pays efface évidemment le sujet du manger sain chez les plus pauvres ;
le manque de fair price (pour nos agriculteur) additionné aux problèmes climatiques provoque l’abandon des bonnes pratiques.
Système de représentation graphique des NPEs largement inspiré par Mickadoule


Une fois ce constat fait, on affiche plusieurs leviers d’actions (déjà connus) :
Rendre toutes les mesures écologiques et sanitaires obligatoires à nos productions est nécessaire pour mieux cibler nos actions. —> politique
Revenir à une concurrence saine en arrêtant les passe-droits . —> judiciaire
Imposer progressivement un fair price en commençant par un label avant de l’imposer par la loi. —> Yuka pourrait avoir un rôle à jouer ici pour aider à diffuser ce label.
Diversifier l’accès aux zones de cultures citoyennes et les réseaux d’entraide. Le collectif ici peu aussi s’inspirer d’anciennes pratiques comme le four communal. Tout est à designer !
Holistic Design
Design systémique
Le design systémique nous montre que le design doit passer d’un produit qui solutionne un problème à des leviers à actionner par un ensemble progressif d’actions. Ces actions peuvent s’appuyer sur des produits, des procédures, des services, des formations, de nouveaux espaces, de nouvelles lois et tout ce à quoi nous n’avons pas encore pensé. Le design systémique montre surtout qu’il va falloir mesurer les conséquences de ce que l’on produit plutôt que continuer à vivre avec démesure. Mesurer plutôt que démesurer.
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